Rita – Marie Pavlenko

Rita
Marie Pavlenko
Flammarion – 297 pages

Qui est Rita ? Que lui est-il arrivé ? 
Tour à tour, élèves et professeur racontent leur année de terminale, celle qu’ils ont vécue. Les voix de Viggo, qui aime Rita comme un fou, Romane, l’amie attentionnée, Timour, le copain décalé. Tous brossent un portrait de Rita. Une ébauche tendre mais dramatiquement incomplète. Leurs histoires disent l’amour, le désir, la rencontre sublime, le partage, mais chacun avoue aussi être passé à côté du drame. Personne n’a rien vu venir. Il faudra attendre que Rita prenne enfin la parole pour comprendre l’envers du décor.

Ce roman entre dans votre vie comme Rita est entrée dans la vie de ses amis : soudainement, sans prévenir, un jour de septembre. Une lecture fracassante, inoubliable.

Il est arrivé quelque chose à Rita. On ne sait pas quoi, on ne sait pas quand, mais un drame s’est produit et a affecté tout son entourage. Viggo, Timour, Romane, Monsieur Hems, ils vont tous raconter leur rencontre, leur quotidien avec Rita, jusqu’au moment du drame. Et c’est à cet instant seulement, qu’on entendra la voix de Rita. Une voix troublante, douloureuse qui a vécu ce qu’aucune adolescente ne devrait vivre.

« On traversait un poème, on le vivait et j’étais heureux de partager cette magie avec Rita, comme si on avait été autorisés à entrer dans un cercle secret où peu d’humains ont posé le pied. »

C’est aveuglement que j’ai débuté cette lecture en faisant pleinement confiance, comme toujours, à Marie Pavlenko. Au bout de quelques pages, le tour est joué, j’ai été séduite, happée par le récit et par sa forme. Dès le début on sait que quelque chose ne va pas avec Rita. Elle est une adolescente qui a une vie complexe : sa mère travaille durement pour subvenir aux besoins de sa famille pendant que Rita s’occupe de ses deux petites sœurs. Déjà blessée par la vie, Rita se rapproche de Viggo dont le quotidien est pour lui aussi difficile. Une relation fusionnelle naît entre eux, lentement, simplement et c’est sublime. 

Comme la plupart des romans de l’autrice, Rita ne fait pas exception à la règle : il regorge de thèmes plus ou moins difficiles qui viennent vous faire réfléchir sur la société, la condition de la femme, la famille, l’amitié ; mais il y a surtout ces sujets plus durs, l’alcoolisme, les violences physiques, sexuelles, morales. On ne peut ressortir indifférent de cette lecture.

Ce roman est indéfinissable. À la fois plein de tendresse, d’humour et de délicatesse, avec une dose de malheur et de cruauté, ce qui fait toute sa splendeur. C’est audacieux de la part de l’autrice d’écrire son roman sous la forme de divers témoignages. En effet, les personnages se succèdent dévoilant leur vision de Rita, et la tension monte peu à peu, au point de devenir insoutenable et de dévorer le livre. 

Rita est d’une beauté et d’une douceur rares. Ce récit vient vous ébranler, vous émouvoir au plus profond et c’est pour cela que j’aime autant les écrits de Marie Pavlenko. Je pourrais encore écrire longuement sur ce livre, mais je vais me contenter de le mettre entre les mains de tout le monde, car l’histoire de Rita mérite d’être connue de toutes et tous.

Le Grand Feu

Le Grand Feu
Léonor de Récondo
Grasset – 221 pages

Venise,1699. À la naissance d’Ilaria, ses parents la confient à la Pietà, institution qui recueille les enfants abandonnées et les voue à la musique.
Dans cette communauté féminine, la petite fille apprend le violon avec le maestro Vivaldi, et joue lors des concerts où les Vénitiens se pressent, fascinés par le talent des interprètes dissimulées derrière les grilles de l’église. Mais Ilaria étouffe, rêve d’ailleurs. Son amitié avec la jeune Prudenza l’ouvre au monde.
Le grand feu, c’est l’amour qui la foudroie à l’aube de ses quinze ans pour le frère de Prudenza. Transportée, Ilaria mêle désir charnel et musique au point de les confondre.

Dans ce grand bal qu’est la rentrée littéraire se trouve Léonor de Récondo et son Grand Feu, forcément, ils ne sont pas passés inaperçus. Une plongée dans le Venise du XVIIIe était beaucoup trop séduisante.  

Ilaria est placée dès sa naissance à la Pietà, lieu emblématique de Venise qui recueille les jeunes filles. Elle passe sa jeunesse sous l’oeil attendri de Bianca qui veille sur elle. Ilaria idolâtre Maria « à la voix d’or », mais le chant n’est pas la destinée de notre jeune héroïne. C’est auprès du maestro Antonio Vivaldi qu’Ilaria va faire ses preuves, un violon entre les mains. Mais la passion ne provient pas uniquement de la musique, elle vient aussi de Paolo, le frère de Prudenza. 

« La vie ici est à son essence. La musique est un art qui se façonne dans une addition d’âmes. »

La musique, Léonor de Récondo sait la créer. C’est à travers Ilaria, cette jeune fille fougueuse, grande passionnée et passionnante, que l’autrice nous charme. Ce personnage aurait pu être comme ses deux sœurs aînées, vivre auprès de ses parents dans leur boutique, mais sa mère lui a choisi un autre destin. Un destin incandescent qui l’a guidée à Vivaldi, aux côtés duquel Ilaria va beaucoup apprendre. 

Le Grand Feu n’est pas juste un roman sur la musique et Venise, c’est surtout un roman d’amour digne des plus belles histoires d’amour. C’est un amour jeune, naïf, surprenant, le premier amour, celui qui nous marque à jamais. Paolo, en amoureux transi et éternel rêveur, a su conquérir le cœur de sa muse, celle pour qui il prend le large. Quant à Ilaria, elle est partagée entre la musique qui l’habite et cette flamme qui brûle pour Paolo. 

Il y a quelque chose de réconfortant lorsqu’on lit une œuvre de Léonor de Récondo. C’est certainement sa plume, à la fois envoutante et délicate qui nous transcende. Quelque soit le sujet, les personnages ou l’époque, les émotions restent intactes, elles nous submergent au fil des pages et nous embrasent. 

Le Grand Feu est un grand roman, un coup de cœur frémissant qu’on ne veut pas lâcher et qui nous entraîne dans une ardeur déconcertante.

Sol

Sol

Antonio Da Silva
Rouergue – 448 pages

Aqua.
Sa peau dorée.
Son dieu, Sol.
Son peuple, les Solariens, qui comme elle se nourrissent des rayons du soleil.
Son île paradisiaque.
Mais l’univers d’Aqua est fragile. Sans cesse menacé par des nuages toxiques qui l’entourent et les Karnis. Les autres, les éternels ennemis. Ceux qui vivent dans la poussière, qui se nourrissent de tout. Quand ces derniers kidnappent la jeune fille, son monde, ses certitudes, tout s’écroule.
Ne laissant qu’une seule chose : la survie, à tout prix, pour découvrir enfin la vérité et éviter l’extinction.

Le Rouergue jeunesse est une maison d’édition que j’apprécie beaucoup, notamment pour la qualité de leurs publications qui ne sont jamais décevantes. Ce nouveau titre d’Antonio Da Silva me tentait énormément (et pas uniquement pour la beauté de la couverture).

Aqua vit sur Isla, une île paradisiaque où dans un monde submergé par des nuages toxiques, il fait bon vivre. Elle ne s’est jamais aventurée au-delà des rayons de Sol, dieu vénéré sur cette île.  Mais la menace des Karnis est plus présente que jamais. L’équilibre d’Aqua vole en éclats lorsque des Karnis l’emmènent avec eux sur leur terre agonisante, car l’extinction de l’humanité est proche. 

Isla est une île étrange, sa perfection, celle de ses habitants, il est évident que quelque chose se cache derrière cette façade, mais ce n’est certainement pas ce à quoi s’attend Aqua. Toute sa vie Aqua n’a connu qu’Isla et son dieu Sol, Sol dont elle se nourrit, dont elle a besoin, sans voir plus loin que l’océan entourant l’île. Les Karnis, ces hommes catégorisés comme monstrueux, n’ont fait que survivre dans leur misère. Et si les Karnis n’étaient pas si mauvais que ça ? 

J’ai beaucoup aimé les personnages de ce roman et cette relation conflictuelle entre les deux peuples. Chacun veut défendre sa vérité, celle qu’on apprend dès le plus jeune âge sans chercher plus loin. À l’image de ses autres titres, Antonio Da Silva nous transporte dans un univers à part. Cette lecture est une véritable expérience sensorielle. Au fil des pages, j’ai eu le sentiment d’être aux côtés de nos personnages, de ressentir, comme Aqua, la chaleur réconfortante de Sol,  de respirer la pollution asphyxiante dans laquelle vivent les Karnis. 

Angoisse, doute, réflexion, Sol est un roman post-apocalyptique unique en son genre. Véritable miroir de notre propre monde, cette lecture permet d’en apprendre beaucoup sur notre réalité et elle nous confronte à l’urgence de la situation climatique actuelle. 

Sol ne laisse aucun répit. Une tension perdure tout au long de la lecture qui devient une obsession sublimée par le talent confirmé de son auteur. C’est une nouvelle fois un sans faute pour Monsieur Da Silva avec ce texte puissant inoubliable.

Comme nous brûlons

Comme nous brûlons

Lisa Balavoine
Rageot – 256 pages

Dans le centre chorégraphique où elle vient d’entrer en section sportive, Blanche rencontre Ada. Entre la parfaite ballerine et la flamboyante danseuse contemporaine naît bientôt une amitié faite de danse, de travail et de liberté. Une amitié lumineuse… et dévorante.

Le hasard fait que je reviens sur mon blog après une longue absence qui se compte en année, avec ce titre, Comme nous brûlons. Faisant partie de la rentrée littéraire en jeunesse, ce roman lie deux de mes passions secrètes : la danse et la poésie, ici étant le vers libre. Il était donc naturel que je me plonge dedans, mais je ne pensais pas être consumée au fil des pages.


« Peut-être que c’est cela que nous recherchons tous
Et que la danse n’est qu’un moyen
Pour ne plus être seul, pour ne plus être que soi
Je regarde les autres et en eux je me vois
Je suis cette fille blonde qui rampe sur le sol
Je suis ce garçon musclé d’une élégance folle
Je suis ces deux costauds plus légers qu’une plume
Je suis ce corps lourd aussi beau que l’écume
Je suis ce crâne rasé et ce chat de gouttière
Je suis chacun d’entre eux tout en étant moi-même


Nous sommes tous des éléments
De ce monde qui nous rassemble
Semblables et différentes. »

Blanche voit l’un de ses rêves se réaliser : elle a été acceptée dans un centre chorégraphique très prisé. Depuis toute petite elle fait de la danse classique, mais son univers est bousculé en intégrant cette école et surtout quand elle rencontre Ada, cette danseuse envoutante.

La chorégraphie de ce roman pourrait paraître simple, du vu et revu avec notre héroïne qui se tourne vers un autre style de danse car elle tombe amoureuse d’un bellâtre, mais ce n’est pas le cas, ou pas totalement. Blanche est une grande passionnée, une danseuse acharnée et incarnée depuis son plus jeune âge. Comme tous dans la danse classique, elle recherche la perfection et celle-ci est Ada. Ada est une flamme brûlante que l’on ne peut éteindre. Leur amitié est en incandescence et on s’attend à tout moment au drame qui les embrasera.

Ce roman n’est donc pas une simple histoire sur la danse classique. C’est le récit d’une jeune fille qui évolue au rythme de sa relation avec les autres, et surtout avec Ada. Blanche cherche sa place parmi tous les élèves, elle réalise que la danse a une multitude de possibilités à explorer. 

L’autrice a écrit son roman en vers libres, un choix parfait. On ressent toute la musicalité du texte et sa profondeur à travers ces vers. Chaque mot résonne, répondant à un autre pour rendre le tout sublime. On vibre en même temps que Blanche, on joue avec le feu comme elle.

Comme nous brûlons est un très beau roman, troublant et puissant qui rend un bel hommage à la danse sans omettre la dureté de ce milieu. J’aurais voulu rester encore un peu avec Blanche. 

Le Bal des folles

22 septembre 2019,

Le Bal des folles, Victoria Mas.
Albin Michel – 251 pages

Chaque année, à la mi-carême, se tient, à la Salpêtrière, le très mondain Bal des folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n’est rien d’autre qu’une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de l’exposition des fous.
Dans ce livre terrible, puissant, écrit au scalpel, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d’une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonnes. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au service du célèbre neurologue ; Louise, une jeune fille « abusée » par son oncle ; Thérèse une prostituée au grand cœur qui a eu le tort de jeter son souteneur dans la Seine ; Eugénie Cléry enfin qui, parce qu’elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu’il faut bien appeler une prison.

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Première lecture de cette rentrée littéraire et quel coup de cœur ! En voyant ce roman sur la table de ma collègue, j’ai su qu’il allait me plaire ! Ce fut une lecture intense qui reste encore dans ma mémoire quelques jours après l’avoir terminée. 

Louise, Eugénie, Geneviève sont trois femmes différentes dont le destin va se croiser au sein de l’hôpital de la Salpêtrière en 1885. Dans ce lieu supposé s’occuper de personnes aliénées, le docteur Charcot, admiré de tous, utilise ses patientes, les internées, pour toutes sortes d’expériences dites médicales. Mais celle qui est sa plus grande et la plus attendue est celle du bal de la mi-carême, où tous les bourgeois parisiens sont invités afin de mieux observer ces femmes qui sortent de la norme. 

« Libres ou enfermées, en fin de compte, les femmes n’étaient en sécurité nulle part. Depuis toujours, elles étaient les premières concernées par des décision qu’on prenait sans leur accord. » 

Le Bal des folles retrace le destin de trois femmes vivant dans le même environnement étouffant, celui de l’hôpital de la Salpêtrière. Ce lieu a une résonance malsaine simplement par son propre nom. Mais cet hôpital n’a pas pour but de véritablement guérir les patientes, pour Charcot, c’est une véritable opportunité afin de réaliser des expériences humaines sur des cas divers. Parmi les trois femmes, Louise, l’une des internées, suite à de nombreuses crises, sert d’objet d’étude au docteur. Quant à Geneviève, en tant qu’infirmière, elle reste fidèle à Charcot et semble aveuglée par ses méthodes. Toutefois, son point de vue est bousculé à l’arrivée d’Eugénie, jeune femme qui a le don de parler avec les morts. Grâce à ces trois portraits de femmes, nous plongeons dans une période historique que je ne connaissais pas et qui m’a grandement perturbée. À cette époque, de nombreuses femmes étaient considérées comme « folles » parce qu’elles étaient simplement différentes, trop expressives, trop sensibles. Les émotions étaient un véritable mal. À travers ce roman, nous pouvons voir les diverses strates de la société avec cette norme à ne surtout pas dépasser.

Malgré les préjugés tenus à leurs égards, Louise, Geneviève et Eugénie sont trois femmes fortes. J’ai beaucoup aimé ces trois personnalités différentes blessées par leur passé. Louise est la plus fragile des trois. Ses crises bien souvent violentes, sont en réalité compréhensibles lorsque l’on  en connaît la raison. Geneviève est d’abord plus distante, puis l’arrivée d’Eugénie va remettre en cause ses croyances. Cette dernière est celle qui m’a fait le plus de peine. Eugénie n’est pas malade, contrairement à d’autres internées, elle a toute sa tête. Son don va à l’encontre de la religion, c’est uniquement pour cette raison qu’elle est perçue comme folle. J’aurais souhaité suivre plus longtemps la vie de ces trois figures féminines.

«  Tant que les hommes auront une queue, tout l’mal sur cette terre continuera d’exister. » 

Dans son roman, Victoria Mas décrit la condition féminine du XIXe siècle, la façon dont les femmes, et encore plus celles qui étaient malades psychologiquement, pouvaient être traitées. Il est aussi question d’une dénonciation des pratiques médicales plus que douteuses présentées sous forme « d’expériences » et bien évidemment d’une critique de la religion. L’auteure relate un fait réel honteux, inconnu ou oublié aujourd’hui. 

Le Bal des folles est une découverte marquante, troublante. Je me suis attachée à Geneviève, Louise et Eugénie. Leur histoire est triste mais Victoria Mas l’éclaire par des notes d’espoir. Je vous conseille grandement ce roman. 

Signé Poète X

18 août 2019,

Signé Poète X, Elizabeth Acevedo.
Nathan – 384 pages

Harlem. Xiomara a 16 ans et un corps qui prend
plus de place que sa voix : bonnet D et hanches chaloupées.
Contre la rumeur, les insultes ou les gestes déplacés,
elle laisse parler ses poings.

Étouffée par les principes de sa mère
(pas de petit ami, pas de sorties, pas de vagues),
elle se révolte en silence. Personne n’est là

pour entendre sa colère et ses désirs.

La seule chose qui l’apaise,
c’est écrire, écrire et encore écrire.

Tout ce qu’elle aimerait dire.
Transformer en poèmes-lames
toutes ses pensées coupantes.

Jusqu’au jour où un club de slam
se crée dans son lycée.

L’occasion pour Xiomara,
enfin, de trouver sa voix. 

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Premier roman de la rentrée littéraire ado, premier coup de cœur. Signé Poète X est une comète écrite en vers avec des sujets bouleversants et des personnages attachants d’une modernité incroyable.

Xiomara n’aime pas parler, elle préfère passer inaperçue, se faire toute petite, sauf que c’est impossible. Le seul moyen pour elle de s’exprimer est de le faire à travers l’écriture et les poèmes, qui eux seuls semblent l’apaiser. Lorsque sa professeure lui demande de rejoindre le club de slam du lycée, Xiomara a l’opportunité de se faire entendre, mais ce n’est pas au goût de tout le monde. Choisir devient alors l’unique solution pour vivre pleinement sa vie.

Américaine d’origine dominicaine, Xiomara fait partie d’une famille religieuse, très croyante notamment sa mère, Mami, qui a des principes religieux qu’elle inculpe à ses enfants, surtout à sa fille. Cette dernière n’a guère le choix, elle doit se plier aux exigences : pas de petit ami, peu d’amis et de sorties, aller à la messe, prier et croire en Dieu. Malheureusement pour elle, Xio a un physique qui plaît et qui attire les regards, à la plus grande déception de sa mère. Xiomara veut surtout vivre son adolescence comme tout le monde, même si cela va à l’encontre des principes de sa mère et de l’Église. Au lycée, elle rencontre Aman, camarade de classe qui va en quelque sorte la libérer de ce despotisme et lui offrir une dose de liberté quotidienne. Aman l’écoute et écoute ses poèmes qui reflètent ce que Xio n’arrive pas à exprimer à voix haute. Xiomara va également découvrir le club de slam de son lycée qui lui ouvre les portes d’un avenir meilleur. 

Xiomara est pleine de colère, d’une colère enfouie en elle et dans les mots qu’elle écrit sur ses cahiers. Sa peine est perceptible, tout comme son cruel manque de libertés. Sa mère, Mami, étouffe ses enfants, en particulier sa fille. La bonté semble être un terme qu’elle ne connaît pas et ses principes font d’elle un véritable tyran. Jumeau, comme l’appelle Xio, est totalement différent de sa jumelle, il est touchant, plus tendre que sa sœur, plus libre aussi, mais il reste noyé par la ferme éducation et autorité maternelles. C’est beaucoup de tristesse et de peine que l’on ressent pour eux, ils n’ont rien de deux adolescents normaux, tout semble être beaucoup plus difficile au sein de leur famille. 

Ce roman est écrit en vers ce qui le rend encore plus troublant et percutant. Les mots résonnent encore plus, et la parole du livre se fait plus forte. Il est certain que si l’auteure avait écrit son livre en prose, le message n’aura pas été diffusé de la même manière, il n’aurait pas eu la même musicalité et le même rythme. Les sujets évoqués sont nombreux : sexualité, homophobie, harcèlement et religion. Mais ils sont tous étouffés par ce personnage de la mère qui n’a pas su donner ou montrer son amour à ses enfants. C’est comme si elle les avait enfermés dans une prison où seule l’éducation qu’elle leur donne permet de survivre. 

Signé Poète X est un roman coup de poing d’une puissance remarquable. Peut-être est-ce sa forme qui le rend ainsi ou les sujets abordés ou les personnages, tous aussi puissants les uns que les autres, à leur manière. Ce roman marquera les esprits, c’est certain. 

Une histoire des loups

14 août 2019,

Une histoire des loups, Emily Fridlund.
Gallmeister – 289 pages

Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et leur enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s’occuper du garçon, de passer avec lui ses après-midi, puis de partager leurs repas. L’adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu’à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaieté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

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Lire un roman des éditions Gallmeister est à chaque fois un voyage dépaysant. En me plongeant dans Une histoire des loups, je voulais avant tout m’évader dans cette Amérique profonde et découvrir le secret de cette intrigante famille.

Madeline, Linda, est une adolescente solitaire, alors quand elle aperçoit sur l’autre rive du lac une mère avec son fils, elle se met à les observer. Patra, la mère, va lui proposer de garder son fils, Paul. Linda devient la baby-sitter et entre dans cette famille étrange. Quelque chose se trame, c’est certain…

Premier chapitre, nous apprenons que Madeline, notre héroïne, est non seulement la narratrice de l’histoire mais surtout différente des autres adolescents de son âge. Sa différence est la part sauvage, presque animale de sa personnalité qui la pousse à devenir parfaitement solitaire, à vivre en marge de la société. Mais elle lui permet de se rapprocher de Patra et de son fils Paul, les nouveaux voisins. De suite, nous comprenons que quelque chose ne tourne pas rond. Tout est étrange dans le comportement de Patra, dans la relations qu’ils entretiennent elle, Léo et leur fils Paul, mais c’est surtout la raison, ou non-raison, pour laquelle ils ont emménagé dans une maison perdue au fond des bois. Le récit fait par Linda nous permet d’en apprendre plus sur cette famille, tout en semant le trouble et en faisant naître une tension. En effet, le parti pris de relater les faits passés guidant au procès en parallèle avec le présent du-dit procès rend le récit certes lent, mais intense.

« Finalement, je ne mourrai pas, pas maintenant, mais continuerai de vivre vertigineusement, à jamais dans la réalité, à moitié sourd à la réalité, dans la pièce imprégnée du feu que notre volonté inextinguible déclenche. »

Ce n’est pas Madeline qui est dérangeante dans l’histoire, mais le couple formé par Patra et Léo. Surtout ce dernier qui semble avoir des poussées de domination à l’égard de sa femme Patra, son autorité sonne faux. Patra est définitivement soumise, elle est une poupée en porcelaine qui ne trouve un semblant d’éclat qu’en présence de Léo. Elle m’a vraiment fait de la peine. La relation qu’elle entretient avec Léo fonctionne uniquement parce que le petit Paul est là. Lui aussi est étrange, il n’a rien d’un petit garçon, sa maturité a quelque chose d’effrayant. Quant à Madeline ou Linda, elle est certes sauvage, à l’écart d’autrui, avec pour passion les loups, mais j’ai aimé sa solitude et sa sensibilité. 

J’ai été très perturbée par ce roman et encore plus par l’écriture de l’auteure. Elle a réussi à lier la lenteur de son texte avec de longues descriptions à une forte tension créant un véritable suspense quelque peu insoutenable. Nous voulons savoir ce qu’il se passe au sein de cette famille, ce qu’il y a de douteux entre les parents et l’enfant. Divers sujets sont évoqués par l’auteure comme la quête de soi, la nature humaine et la difficulté de trouver sa place dans la société, mais aussi la religion, la science et les choix que nous pouvons faire. 

Je comprends qu’Emily Fridlund ne peut pas mettre tout le monde d’accord avec cet étonnant livre, mais dire que ce roman est simple et ennuyeux serait mentir. Il est d’une richesse incroyable, toute sa singularité réside dans la plume de l’auteure et dans sa surprenante héroïne.

Le Magasin jaune

12 août 2019,

Le Magasin jaune, Marc Trédivic.
Le Livre de Poche – 276 pages

Pigalle, 1929. Une boutique de jouets, fraîchement repeinte couleur mimosa, devient le point de ralliement du quartier. On l’appelle le magasin jaune. Pendant que ses propriétaires, Gustave et Valentine, rivalisent d’inventivité pour donner au lieu de l’éclat, leur fille, qui naît en 1930, va vite devenir la mascotte du quartier. Mais au-dehors, le monde s’obscurcit. Avec la guerre et l’Occupation arrive l’heure des choix. Le magasin jaune, dépositaire de l’innocence et des rêves de l’enfance, sera-t-il un rempart contre la folie meurtrière des hommes ?

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Le Magasin jaune, un titre qui m’a tout de suite interpellée. Plusieurs fois j’ai regardé ce roman qui était alors en grand format, hésitante.. À sa sortie en poche, je n’ai pas pu résister plus longtemps. Il y a des livres qui vont nous plaire et nous bouleverser, on le sait à l’avance, et pour celui-ci, je le savais.

1929, Gustave devient propriétaire d’un magasin rue Germain-Pilon. Ce magasin est jaune, un jaune joyeux, un jaune chaleureux, un magasin qui est un havre de paix. Les jouets sont rois et les enfants en ressortent heureux. Lorsque la guerre éclate, le magasin perd de son éclat mais ce jaune demeure. 

« Dans le magasin jaune, comme dans le cœur des hommes, l’illusion vit ses derniers instants, le réel gagne du terrain et détruit les jeux de construction de l’esprit. »

Avant d’être jaune le magasin était terne et triste. Et puis Gustave est arrivé avec son désir de rendre heureux enfants et parents, d’apporter la joie et les rires au sein des foyers. Marié à Valentine, ils font de ce magasin un véritable paradis pour les jouets et les enfants. Un an après l’ouverture naît leur fille, Germaine, surnommée Quinze. Cette dernière est bien vite vénérée par tous ses camarades. Par la suite, le magasin évolue, certains jouets en remplacent d’autres mais le jaune reste présent, bien encré dans les murs et dans le cœur des habitants. Cependant, la guerre vient obscurcir la tranquillité de la famille de Gustave. L’Occupation survient à son tour et Gustave doit choisir : collaborer ou résister ? Le magasin jaune devient alors, dans l’ombre, un autre lieu, plus sombre, plus dangereux. Mais jamais il ne perd son âme. Ce roman évoque la guerre comme celle-ci n’avait encore jamais été racontée, avec une naïveté enfantine et des métaphores. La guerre n’est pas là pour émouvoir le lecteur, non, c’est l’histoire du magasin jaune qui est émouvante. Le magasin est un personnage à part entière.

Les personnages sont à l’image des jouets, ils changent et évoluent au fil des années, ils s’endurcissent également. Gustave garde son âme d’enfant, des étoiles plein les yeux, des idées à foison, il est la lueur d’espoir des habitants du quartier. Valentine permet à Gustave de garder les pieds sur terre, elle est sa petite main, son ombre. Leur passion des jouets est transmise à leur fille, Quinze, aimée de tous les enfants. Elle est touchante à sa manière, elle est ingénue avec un fort caractère. 

« Dans le magasin jaune, les jouets croient en la victoire. Ils savent que les armées de plomb ne refont pas l’histoire mais la copient. Ils savent que les conquérants d’aujourd’hui seront nécessairement les perdants de demain, qu’aucune dictature ne dure et que les plus grands despotes deviennent tous, après leur ultime défaite, des figurines condamnées pour l’éternité à rejouer sans cesse leur débâcle. Car les enfants font perdre les perdants, indéfiniment. »

Ce roman est d’une beauté rare et délicate. Parler de la guerre n’est pas nouveau, de nombreux romans existent déjà sur le sujet. Mais Marc Trévidic en parle avec originalité et beaucoup de candeur. Les accroches liminaires de certains chapitres nous font retenir notre souffle. Elles permettent d’annoncer les évènements à suivre de façon métaphorique. De fait, le récit devient vite addictif. Les mots ont été sélectionnés avec soin afin de raconter une histoire forte et renversante.

La Magasin jaune est un roman qui vacille entre douceur enfantine et douleur causée par les conséquences de la guerre. J’ai lu ce livre sans pouvoir m’arrêter. Le monde autour était sur pause, les mots ont pris le dessus et les émotions ont explosé en moi. 

Summer

8 août 2019,

Summer, Monica Sabolo.
Le Livre de Poche – 283 pages

Lors d’un pique-nique au bord du lac Léman, Summer Wassner, dix-neuf ans, disparaît. Elle laisse une dernière image : celle d’une jeune fille blonde courant dans les fougères, short en jean, longues jambes nues. Disparue dans le vent, dans les arbres, dans l’eau. Ou ailleurs ?
Vingt-cinq ans ont passé. Son frère cadet Benjamin est submergé par le souvenir. Summer surgit dans ses rêves, spectrale et gracieuse, et réveille les secrets d’une famille figée dans le silence et les apparences. Comment vit-on avec les fantômes ? 

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Quelle meilleure saison que l’été pour lire Summer ? Loin d’être rafraîchissant, ce roman est troublant jusqu’à la dernière page. Entre fiction et polar la ligne est ici très fine.

Vingt-cinq ans ont passé et Benjamin repense toujours à la disparition de sa sœur aînée, Summer, alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans. Aujourd’hui Summer hante les pensées de son frère qui cherche encore à comprendre les faits.

Summer est une vraie surprise, je ne m’attendais pas à un récit comme celui-ci. Lisant très rapidement les quatrièmes de couverture, je pensais qu’on suivrait le quotidien de Summer jusqu’au jour du drame, de sa disparition. Quelle erreur de ma part ! C’est en réalité le frère, Benjamin, que nous suivons. Ce dernier vit avec ses souvenirs de l’été où Summer a disparue. Grâce à aux souvenirs, nous plongeons dans le passé et apprenons à connaître une famille parfaite sans fêlures apparentes. Comme dans tous les drames, les secrets vont émerger petit à petit et assombrir le beau tableau qui nous est présenté. Benjamin a été très touché par la disparition de sa sœur au point de sombrer. Entre cauchemars et révélations, nous nous retrouvons dans un lugubre récit. 

« Où sont les êtres que l’on a perdus ? Peut-être vivent-ils dans les limbes, ou à l’intérieur de nous. Ils continuent de se mouvoir à l’intérieur de nos corps, ils inspirent l’air que nous inspirons. » 

Présentée comme une famille parfaite, les apparences sont nombreuses : belle famille aisée et aimée de tous, en somme, la famille idéale. Mais nous en sommes loin. Summer n’était pas cette jeune femme parfaite comme voulait le croire son frère. J’ai trouvé le personnage de Summer fade et guère intéressant. Benjamin, est le cadet, il vivait dans l’ombre de sa sœur à son propre détriment. Il m’a fait beaucoup de peine. Tout au long du récit on sent qu’il tient à se dénigrer par rapport à elle.  Quant aux parents, l’illusion du couple idéal tombe bien vite en éclat.

Ce roman est très bien ficelé. Proche du polar, l’auteure sème des indices au fur et à mesure de l’histoire. Le doute touche les personnages et le lecteur : qui était véritablement Summer ? Comment a-t-elle disparue ? C’est à se demander si la relation entre le frère et la sœur n’était pas malsaine. Il y a, de la part de Summer, un désir de montrer qu’elle est l’aînée, elle mène son monde comme elle l’entend. La seule chose que je peux reprocher à ce roman est le fait que Benjamin se rend malade, détruit sa vie pour Summer. Mais on oublie ce détail tant la fin est grandement surprenante, un vrai coup de maître au point de vouloir relire ce roman. 

J’ai beaucoup aimé ce livre, d’avoir été menée en bateau, d’avoir douté, d’avoir détesté certains personnages. Summer est une étonnante lecture à découvrir. 

La Salle de bal

1er août 2019,

La Salle de bal, Anna Hope.
Folio – 438 pages

Lors de l’hiver 1911, Ella Fay est internée à l’asile de Sharston, dans le Yorkshire, pour avoir brisé une vitre de la filature où elle travaillait depuis l’enfance. Révoltée puis résignée, elle participe chaque vendredi au bal des pensionnaires, unique moment où hommes et femmes sont réunis. Elle y rencontre John, un Irlandais mélancolique. Tous deux dansent, toujours plus fébriles et plus épris. À la tête de l’orchestre, le docteur Fuller observe ses patients valser. Séduit par l’eugénisme et par le projet de loi sur le Contrôle des faibles d’esprit, Fuller a de grands projets pour guérir les malades, dont les conséquences pourraient être désastreuses pour Ella et John.

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J’ai entendu parler de La Salle de bal, de ce texte qui paraît-il était si beau. Avec un titre aussi attirant et une quatrième de couverture aussi tentante, je me suis lancée dans cette lecture avec un empressement, une envie de connaître cette histoire sans en perdre un mot.

Ella Fay, internée dans un asile, prend part chaque vendredi au bal des pensionnaires. Au cours d’une de ces soirées dans cette étonnante salle de l’asile, elle fait la rencontre de John. Ils s’éprennent l’un de l’autre au cours de diverses danses alors que le docteur Fuller, chef d’orchestre, a pour ambition de guérir les malades…

Le roman débute sur une confusion : pourquoi Ella se retrouve-t-elle dans cet asile ? Nous le découvrons au fil des pages en entrant dans l’asile de Sharston, avec une certaine réticence, et avec des pensionnaires, malades et attachants, chacun à leur façon. Chaque vendredi soir, la monotonie laisse place à un moment récréatif durant le bal qui réunit les hommes et les femmes de l’asile, habituellement séparés. Ainsi nous découvrons de nouveaux visages et parmi eux, celui de John. L’histoire naissante entre John et Ella est belle et délicate. Animée par l’attente des vendredis et par des lettres brèves qu’ils s’échangent, ils vivent leur histoire d’amour, enfermés et  privés de libertés. Cependant, derrière cette douce romance se cache la sombre ambition du docteur Fuller, qui veut guérir, c’est-à-dire contrôler, rendre définitivement fous (ou légumes) les patients de l’asile. Ce roman est une fiction qui est néanmoins basée sur des faits, certes modifiés, mais réels. Cette salle de bal est la seule lueur d’espoir de l’asile pour les pensionnaires.

« Qui était-il pour être heureux ? Cet…homme ? Ce n’était même pas un homme. Il n’était guère plus qu’une bête des champs.
Et la fille…cette chose. » 

Divers sont les personnages, j’ai été surprise de m’attacher aussi vite aux deux protagonistes et à leur histoire. Ella est avant tout perdue et est vulnérable dans cet environnement qu’elle ne connaît pas. Je l’ai appréciée pour sa naïveté qui la sauve. Le mélancolique John est aussi touchant. Ensemble, ils sont une évidence. Mais Fuller est là, aussi horrible qu’un être humain se sentant supérieur à un autre peut l’être. Il dupe le lecteur jusqu’au bout avec son souhait de possession humaine.

Anna Hope nous conduit dans un véritable tourbillon d’émotions rythmé par la cadence du bal et des mots. En lisant ce roman, j’ai découvert une incroyable auteure avec le regret de ne pas l’avoir lue plus tôt. Son écriture est sans artifice, à la fois simple et vraie, à l’image des protagonistes.

La Salle de bal est un coup de cœur et j’en suis ravie. J’ai aimé la beauté du texte, l’histoire d’Ella et de John, il y a quelque chose d’hypnotique qui s’en dégage.