Le Bal des folles

22 septembre 2019,

Le Bal des folles, Victoria Mas.
Albin Michel – 251 pages

Chaque année, à la mi-carême, se tient, à la Salpêtrière, le très mondain Bal des folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n’est rien d’autre qu’une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de l’exposition des fous.
Dans ce livre terrible, puissant, écrit au scalpel, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d’une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonnes. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au service du célèbre neurologue ; Louise, une jeune fille « abusée » par son oncle ; Thérèse une prostituée au grand cœur qui a eu le tort de jeter son souteneur dans la Seine ; Eugénie Cléry enfin qui, parce qu’elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu’il faut bien appeler une prison.

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Première lecture de cette rentrée littéraire et quel coup de cœur ! En voyant ce roman sur la table de ma collègue, j’ai su qu’il allait me plaire ! Ce fut une lecture intense qui reste encore dans ma mémoire quelques jours après l’avoir terminée. 

Louise, Eugénie, Geneviève sont trois femmes différentes dont le destin va se croiser au sein de l’hôpital de la Salpêtrière en 1885. Dans ce lieu supposé s’occuper de personnes aliénées, le docteur Charcot, admiré de tous, utilise ses patientes, les internées, pour toutes sortes d’expériences dites médicales. Mais celle qui est sa plus grande et la plus attendue est celle du bal de la mi-carême, où tous les bourgeois parisiens sont invités afin de mieux observer ces femmes qui sortent de la norme. 

« Libres ou enfermées, en fin de compte, les femmes n’étaient en sécurité nulle part. Depuis toujours, elles étaient les premières concernées par des décision qu’on prenait sans leur accord. » 

Le Bal des folles retrace le destin de trois femmes vivant dans le même environnement étouffant, celui de l’hôpital de la Salpêtrière. Ce lieu a une résonance malsaine simplement par son propre nom. Mais cet hôpital n’a pas pour but de véritablement guérir les patientes, pour Charcot, c’est une véritable opportunité afin de réaliser des expériences humaines sur des cas divers. Parmi les trois femmes, Louise, l’une des internées, suite à de nombreuses crises, sert d’objet d’étude au docteur. Quant à Geneviève, en tant qu’infirmière, elle reste fidèle à Charcot et semble aveuglée par ses méthodes. Toutefois, son point de vue est bousculé à l’arrivée d’Eugénie, jeune femme qui a le don de parler avec les morts. Grâce à ces trois portraits de femmes, nous plongeons dans une période historique que je ne connaissais pas et qui m’a grandement perturbée. À cette époque, de nombreuses femmes étaient considérées comme « folles » parce qu’elles étaient simplement différentes, trop expressives, trop sensibles. Les émotions étaient un véritable mal. À travers ce roman, nous pouvons voir les diverses strates de la société avec cette norme à ne surtout pas dépasser.

Malgré les préjugés tenus à leurs égards, Louise, Geneviève et Eugénie sont trois femmes fortes. J’ai beaucoup aimé ces trois personnalités différentes blessées par leur passé. Louise est la plus fragile des trois. Ses crises bien souvent violentes, sont en réalité compréhensibles lorsque l’on  en connaît la raison. Geneviève est d’abord plus distante, puis l’arrivée d’Eugénie va remettre en cause ses croyances. Cette dernière est celle qui m’a fait le plus de peine. Eugénie n’est pas malade, contrairement à d’autres internées, elle a toute sa tête. Son don va à l’encontre de la religion, c’est uniquement pour cette raison qu’elle est perçue comme folle. J’aurais souhaité suivre plus longtemps la vie de ces trois figures féminines.

«  Tant que les hommes auront une queue, tout l’mal sur cette terre continuera d’exister. » 

Dans son roman, Victoria Mas décrit la condition féminine du XIXe siècle, la façon dont les femmes, et encore plus celles qui étaient malades psychologiquement, pouvaient être traitées. Il est aussi question d’une dénonciation des pratiques médicales plus que douteuses présentées sous forme « d’expériences » et bien évidemment d’une critique de la religion. L’auteure relate un fait réel honteux, inconnu ou oublié aujourd’hui. 

Le Bal des folles est une découverte marquante, troublante. Je me suis attachée à Geneviève, Louise et Eugénie. Leur histoire est triste mais Victoria Mas l’éclaire par des notes d’espoir. Je vous conseille grandement ce roman. 

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